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Like a bird set free (Ruby)

 
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 Like a bird set free (Ruby)

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Chuck Carlton


Chuck Carlton
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Localisation : Là où on peut faire la fête !
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Ami(e)s: Emmy-Nem, Haley, mon petit lapin! Oh vous inquiétez pas, ça nous choque autant que vous... ; Joy, eh ouais comme quoi ! ; Ruby Miss Parfaite ; Lilian, the one and only
Âme soeur: come to me my sweetest friend can you feel my heart again i'll take you back where you belong and this will be our favorite song

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MessageSujet: Like a bird set free (Ruby)   Like a bird set free (Ruby) Icon_minitimeLun 3 Oct - 17:32

https://www.youtube.com/watch?v=IGyj9sMwd38





Mon lit était trempé de sueur, et je grelottai, j’avais eu tellement chaud que mon corps avait transpiré tout ce qu’il savait sous peine de mourir de chaleur, et maintenant tout était tellement mouillé que je tremblais de froid – ma température avait chuté d’un coup. Il fallait que j’essaye de me changer au moins… à défaut d’avoir un lit sec… Mais mes muscles étaient du plomb et ne répondaient pas. Je sentais que j’étais loin de moi-même, loin de mon corps, que tout était dissocié, et… C’était difficile. Comme un rêve. Je n’avais plus de contrôle. Puisque je ne pouvais pas me lever, peut-être qu’au moins je pouvais essayer de retourner ma couette par exemple, en voilà une bonne idée ! Me tortillant tant bien que mal je finis par pousser ma couette sur le côté, pour révéler mon corps entier plein de spasmes : super. Surtout que maintenant, je n’avais même pas la force de choper la couette pour la retourner… Je fixai le plafond, j’avais l’impression qu’il se déversait sur moi et ça me fascinait et je me demandais si c’était le monde en entier qui me remplissait maintenant que je n’étais plus à l’intérieur de moi, ce que ça allait faire, si j’allais être différent ou bien si simplement j’allais être partout, tout d’un coup, comme une boule à facettes et briller et renvoyer la lumière et bouger au son de la musique, parce qu’après tout c’était juste ça que je voulais maintenant, je voulais juste flotter quelque part, avec quelques personnes, tranquille, je voulais vivre la nuit dans les bars tamisés, je voulais rester caché et qu’on ne me demande rien, ça m’allait très bien, je m’effaçais peu à peu et voilà, c’était ce qui pouvait arriver de mieux… La pièce tournait, tournait, et me berçait, et si je fermais les yeux je pouvais sentir le monde vibrer autour de moi. Il y avait un rythme lancinant qui tambourinait, en fond, qui se répétait, qui revenait, qui me rendait content et qui de plus en plus me stressait et m’étouffait et m’angoissait et le plafond avait arrêté de couler et il y avait un monstre sur moi, une bête toute noire, énorme, qui m’écrasait, mon cœur ne répondait plus, je ne pouvais plus respirer, je paniquai, c’était horrible, mes muscles étaient tétanisés, le monde se refermait et la musique était atroce et aigue comme des ongles sur un tableau et j’étais emprisonné dans une boule d’angoisse et sur ma table de nuit il y avait une seringue, un petit flacon, presque plein. De quoi faire plusieurs shoots. Pas pour tout de suite, je venais d’en faire un. Mais j’avais peur.

En tremblant, je réussis à saisir le matos – un spasme me secoua tellement fort que je sentis le contenu de mon estomac (qui remontait à ?? aucune idée) se déverser par terre. Mes doigts étaient blancs, comme ceux d’un cadavre, il ne devait plus y avoir une goutte de sang dans la peau de mon visage et je devais faire peur, surtout que j’avais perdu je ne sais pas combien de kilos. Mais au fond, quoi ? J’avais juste besoin d’assez de forces pour percer un mini trou, tirer et pousser une seringue, et voir assez clair pour me la planter dans le bras. Après deux essais qui se finirent en gros échec de merde (mon bras me faisait un mal de chien) je finis par me piquer dans la main, pour aller plus vite.

Des petites bulles le long de toutes mes veines jusque dans ma tête, une explosion, l’extase.

Je n’étais plus dans un lit mouillé et inconfortable mais dans des draps merveilleusement doux et chauds et dans un matelas tout tiède qui m’enveloppait confortablement et le soleil qui filtrait par les fenêtres était tout doré et les rayons étaient comme de la fumée de toutes les couleurs et voltigeaient un peu partout autour de moi et j’avais envie de rire, de rire, de rire, je n’avais plus mal nulle part et c’était le paradis et j’avais envie de pleurer tellement j’étais heureux et tellement j’étais bien et tellement j’avais été malheureux mais ça ne comptait plus et j’étais bien, si bien… Il y avait un petit bruit derrière la porte qui s’intensifiait et elle s’ouvrit et Coop était là, mon frère, sur le palier de ma chambre à Bristol, et il pleurait, il sanglotait comme quand il était petit et que je lui volais ses jouets et que j’étais méchant avec lui.


- Mais pourquoi tu pleures ?!
lui demandai-je ente deux crises de rire.

Il me regarda en sanglotant de plus belle comme un gros bébé :


- Parce que tu es en train de mourir, Chuck...
























Cette fois, quand je me réveillais, j’étais clairement en-dehors de moi : je me voyais, là, couché dans un lit d’hôpital (une fois n’est pas coutume…), dans une chambre de Sainte-Mangouste, ça se voyait à cause de 1) la déco 2) les ustensiles qui voletaient un peu partout ou qui restaient là, en apesanteur, et l’absence des bip-bip horribles des machines électriques. Angie était là, dans un fauteuil beige, le coude appuyé sur l’accoudoir, et semblait me regarder sans me voir : Hamish entra et lui apporta du café avant de l’embrasser sur la tête et de partir. Probablement qu’il devait aller travailler. Ma pauvre tante avait les traits tirés et son air renfrogné de quand quelque chose ne va pas et qu’elle est en colère, et je me demandai alors bien depuis combien de temps j’étais là, ce qui m’était arrivé et ce qui allait m’arriver. J’ouvris les yeux.

- Oh, Chuck, tu es réveillé, murmura-t-elle alors en me prenant la main et en la caressant. Elle essayait de se retenir, mais ça se voyait.

Elle pleurait.



***


- Il a eu beaucoup de chance (beaucoup de chance, répéta l’infirmière), c’est un miracle qu’il s’en sorte sans séquelles (un MI-RACLE), heureusement que ce garçon vous a appelé (heureusement !), disait le médicomage à Angie.

Dans le couloir, une silhouette passa qui ressemblait à Lilian.


***


On me triturait de partout, on me palpait la tête, le cou, la mâchoire, les bras, le torse. Je poussai un grognement, parce que ces imbéciles me réveillaient en faisant ça et j’avais envie de dormir – quand je dormais je n’avais plus mal nulle part et je ne sentais pas l’horrible sensation de vide qui apparaissait à vitesse grand V quand il ne me donnait pas la potion miraculeuse (elle était violette avec des bulles dorées). Je tentai de dire quelque chose, de leur faire comprendre, mais aucun son ne sortit de ma bouche – je n’arrivais pas à parler.


***


Je me demandais si le monde se rendait compte que c’était totalement impossible, là, concrètement, d’avaler quoi que ce soit, je ne voulais PAS, mon corps ne voulait PAS, merde à la fin. J’entendis Angie discuter avec l’infirmière de plus en plus intensément (je sentais qu’elle essayait de garder son calme tant bien que mal) et même si je ne comprenais pas tout je sentais qu’elle était de mon côté, finalement l’infirmière me força à avaler des cuillères d’une soupe immonde, qui ne manqua pas de ressortir et de finir partout sur mes draps, évidemment. C’était ça, de ne pas écouter Angie. On finissait souvent par s’en mordre les doigts.


***


Il faisait nuit et l’hôpital était silencieux et les patients dormaient et ça passait et repassait dans les couloirs et je voyais la nuit par ma fenêtre et j’avais envie de pleurer, de partir d’ici, de n’avoir jamais été ici, ni là-bas, de ne pas avoir été con, d’avoir compris, d’avoir continué, d’avoir réussi – je ne savais plus. Ça ne changeait rien. J’étais seul. Et Coop n’était plus là.



***


- J’imagine que tu ne veux pas voir ta mère ?...

Je fis non de la tête. Plutôt avaler la marmite entière de soupe par le nez.

- Tu veux que je prévienne quelqu’un, dans tes amis ? Je pensais à Chris et Lucy…

Oui.

- … Ruby, Lilian…

Oui, oui.

- … Tess aimerait te voir aussi, mais…

Non. Elle hocha la tête.
Pas tout de suite.

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Ruby Standiford-Wayland


Ruby Standiford-Wayland
Apprentie à Sainte Mangouste



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MessageSujet: Re: Like a bird set free (Ruby)   Like a bird set free (Ruby) Icon_minitimeLun 3 Oct - 23:15

Certaines de mes angoisses étaient celles d’une enfant à l’imagination fertile et au passé sombre, mais j’avais appris à les dompter. Le soir, lorsque la nuit déposait son voile autour de moi et de mon cœur, elles revenaient, serpentant dans l’ombre jusqu’à la lumière de mon réveil qui affichait une heure tardive. Elles étaient toujours terribles, plus vives que mes inquiétudes quotidiennes – elles portaient en elle le poids de la catastrophe. Mais j’avais grandi en me rappelant qu’elles n’étaient que dans ma tête, que j’avais ce don de prévoir le pire, sûrement parce que je l’avais connu, et qu’il fallait que je me détache de ces visions chaotiques. Si j’avais vécu des moments charnières dans ma vie, j’avais aussi appris que je n’avais jamais pu les anticiper. Je n’avais pas imaginé l’incident, ou le départ d’Ewan en Australie, ni même la mort de son père. C’était là toute la force d’un drame, toute sa violence, c’était sa soudaineté, la façon dont les choses implosaient en seulement quelques secondes, quelque chose basculait et le reste dégringolait. Mes scénarios fictifs n’étaient que le reflet de mes peurs, peurs que j’avais appris à contrôler ou du moins à temporiser, et je me résonnais chaque nuit où mon esprit retombait dans ses instincts. Alors s’il faisait froid dans mon cœur lorsque je pensais à Chuck, je me rappelais que j’imaginais toujours le pire, qu’il était tard et que j’étais fatiguée. J’égrenais ma rengaine ; non, Chuck n’est pas en train d’overdoser dans un squat, non, Chuck n’est pas mort renversé par une voiture parce qu’il traversait complètement high la rue, non, Chuck n’a pas besoin de moi, Chuck a fait son choix, j’ai fait le mien. J’aurais dû m’écouter, peut-être. J’aurais dû savoir que pour une fois, l’imagination allait se mêler à la réalité. Mais comment aurais-je pu ?

Il avait fait plutôt beau aujourd’hui, pourtant. Le soleil avait été timide derrière les grands bâtiments gris de la capitale, mais le ciel était clair, dégagé. Lizlor disait toujours que c’était le signe d’une bonne journée. Ça ne l’avait pas empêché de partir en retard, comme souvent, me faisant soupirer et rire en même temps, tandis que je finissais d’ajuster le col de mon chemisier. Je commençais un peu plus tard que Lizlor aujourd’hui, un comble quand on savait que j’étais toujours réveillée une heure avant elle. J’étais partie travailler, tranquillement, attentive à la vie autour de moi. Sainte-Mangouste était en ébullition, comme tous les jours, et j’avais appris à me fondre dans ce rythme rapide de travail qui me stimulait. J’avais passé la matinée avec Justine, ma supérieure, la regardant réaliser un onguent complexe à même le torse d’un petit garçon qui avait bu la potion de son père par accident – la brûlure de l’œsophage était telle qu’elle avait attaqué la peau extérieure, sûrement car les composants de la potion agissaient également – la situation était critique, et la vue de la peau à vif d’un enfant si jeune me retournait toujours un peu, mais j’écoutais attentivement, me promettant que je pourrais venir en aide la prochaine fois que quelque chose se produirait.

Le midi, j’avais manqué d’être en retard chez la psychologue à cause d’une nouvelle urgence, me rappelant que si je n’avais pas aimé autant compartimenter ma vie, il aurait plus pratique d’aller simplement chez l’un des psychologues de Sainte-Mangouste. Mais je voulais que mon travail soit un lieu et mon médecin un autre. J’étais arrivée pile à l’heure, le ventre vide mais à temps, et la séance s’était déroulée sans encombre. J’avais pris l’habitude maintenant, malgré ma réticence instinctive qui revenait parfois. Ruby, l’enfant terrorisée et incomprise par les médecins n’était jamais très loin, mais j’avais appris à lui tendre la main et à la faire s’approcher, lui laissant même la parole, parfois. Aujourd’hui, j’avais parlé longuement de mes grands-parents, de notre relation, de ma rancœur envers eux, de ma tristesse ; c’était étrange de parler avec une parfaite inconnue qui avait petit à petit appris à connaître les détails de ma vie compliquée. En parlant de l’abandon qu’ils m’avaient fait ressentir, je me surpris à l’associer à mon incapacité d’abandonner en retour, et pendant un bref instant, Chuck vint sur le tapis. En sortant de la séance et en retournant travailler, j’avais repensé un peu à lui, maintenant qu’il flottait dans l’air. Puis Sainte-Mangouste m’avait happé à nouveau, j’avais chassé mes inquiétudes, et la vie avait repris son cours.

J’étais rentrée tard, retrouvant Ewan qui m’attendait devant l’appartement. Il avait apporté un bouquet de fleurs, simplement pour « me faire plaisir » et je l’avais accepté avec des papillons un peu partout dans l’estomac. Son sourire doux avait le don de faire tout fondre à l’intérieur de moi, comme la chaleur rassurante du soleil qui se levait encore et encore, tous les matins. J’avais pris sa main en pénétrant dans le salon, caressant un instant sa paume dont je connaissais les lignes par cœur. On avait cuisiné ensemble en discutant de nos journées, je l’avais écouté attentivement me parler d’un problème de stock chez l’apothicaire et d’une discussion qu’il avait eu par hibou avec sa mère, et il m’avait écouté en retour lorsque j’avais raconté le petit garçon blessé. Ewan n’avait aussi pas manqué de me demander comment c’était passé ma séance avec la psychologue – il n’oubliait jamais et comprenait toujours lorsque je n’avais pas envie d’en parler – et nous avions discuté un peu de ça, tandis que les légumes finissaient de cuire. Mais bien vite, la lourdeur de nos soucis s’était envolé, nous mangions en parlant avec plus de légèreté, plaisantant ensemble, s’épiant sous nos cils, accrochant nos regards de temps en temps. Sa main avait frôlé la mienne lorsqu’il avait attrapé le sel, nos genoux se touchaient sous la table – il faisait bon, l’air était parfumé de notre repas et de l’odeur d’Ewan, je m’étais sentie dans ma petite parenthèse enchantée. Mes inquiétudes avaient été loin, le temps d’un dîner.

Mon téléphona sonna, rompant la conversation et nos rires. Je reposai ma fourchette et me levai pour aller fouiller dans mon sac à main pour récupérer mon portable.

Sur l’écran, je vis le nom d’Angie et son numéro apparaître, et il me sembla comprendre instantanément que les scénarios catastrophes avaient parfois l’atroce goût de la vérité.

Ewan se leva dès qu’il vit mon visage se décomposer, mais je ne vis qu’à peine sa silhouette s’approcher, car un voile était tombé devant mes yeux. J’écoutai Angie, entendant le tremblant dans son ton qui se voulait ferme. . Sainte-Mangouste. Overdose. Vivant. Ma voix, minuscule et broyée, osa demander « Est-ce qu’il est vivant ? ». Je n’étais pas sûre d’avoir compris ce qu’elle avait dit. Elle répéta à nouveau. Oui, le médicomage trouve cela miraculeux, mais Chuck est sain et sauf. Très affaibli, mais vivant. A nouveau, j’osai demander « Est-ce que je peux venir ? ». Oui, je pouvais. « Maintenant ? » Oui, si je voulais. Mais Chuck était très fatigué. Il n’avait pas bonne mine. Je n’avais pas peur, pensai-je, me mentant. Bien sûr que j’étais terrorisée de le voir ainsi.

La suite se passa vite. D’une toute petite voix, j’expliquai à Ewan ce qu’il avait déjà compris. Ses bras tout contre moi me paraissaient irréels. Mes joues étaient humides tout à coup, mais je balayai les larmes rapidement – je n’avais pas de temps à perdre. Tremblante, j’attrapai mon sac, mon manteau, et Ewan me proposa de transplaner avec moi. Je savais que je n’étais pas en état, et je lui en fus reconnaissante de l’avoir compris lui aussi. Pop !, et j’étais à Sainte-Mangouste. Tout me paraissait en désordre. Ça n’avait pas de sens. Ma main lâcha celle d’Ewan, qui me regardait avec toute l’affection et la douceur dont il était capable. La chaleur rassurante se propagea un instant en moi avant de se dissoudre dans la noirceur de mes inquiétudes. Je n’avais plus qu’une seule chose en tête, le numéro de chambre, et je m’élançai, courant presque, le cœur tapant si fort entre mes cotes que j’en avais envie de vomir. Mais arrivée devant la chambre, je ralentis, tout à coup incapable, comme si un mur s’était dressé devant moi. J’avais si peur. La main sur la poignée, il me semblait que je ne pourrais jamais ouvrir et voir Chuck ainsi. Mais il fallait bien, pourtant. Bravement, j’ouvris la porte.

Il était là perdu dans les draps blancs. Il était si pâle et si mince que pendant un instant, je me demandais si c’était bien lui, si je ne m’étais pas trompé. Mais non, c’était bien lui, son visage un peu plus creusé, les cernes un peu plus marqué. J’avais l’impression qu’il était si petit… Il allait se briser en deux s’il bougeait. Il n’était qu’un enfant. Je me mis à pleurer avant même qu’Angie me serre dans ses bras. Puis je posai mon sac sur la commode, et m’approchai tout doucement de Chuck, essuyant au passage mes larmes, calmant les sanglots qui manquaient d’exploser. Je ne pouvais pas, pas maintenant, toute mon attention était tournée vers Chuck à présent. Je m’assis sur la chaise qu’on avait installée près de son lit, et je pris sa main. Sa peau était tiède, un peu moite. A l’intérieur de moi, mon cœur s’écroulait sur lui-même, entrainant mes veines et mes organes dans sa chute, j’aurais pu me laisser happer par la douleur si mon instinct maternel n’avait pas été aussi fort, tout à coup, réveillant tous mes sens.

Chuck bougea légèrement, et ses yeux s’ouvrirent. Il me vit, et je sentis qu’il lui fallut quelques secondes pour comprendre qui j’étais. Il me fit un petit sourire, minuscule mais courageux. Je n’avais pas oublié son sourire. Les larmes brouillèrent ma vue, mais je répondis à son sourire, serrant plus fort sa main. D’une voix lointaine, il murmura un « hey » pas très vaillant, auquel je répondis dans un murmure aussi, qui n’était que pour lui. Ce n’était qu’un mot, qu’un bonjour, et pourtant, j’y transmettais tout l’amour dont j’étais capable. Mon pouce caressait le bout de ses doigts, dont les ongles étaient abîmés. Chuck ferma les yeux à nouveau, puis murmura un désolé. Je mordis l’intérieur de ma joue pour retenir un sanglot.


- Chut, chut, lui dis-je tout doucement. Pas maintenant. Je suis désolée aussi, ajoutai-je, l’émotion me prenant la gorge. Désolée de t’avoir laissé. Je suis tellement heureuse que tu sois en vie. C’est tout ce qui compte.

Il me sembla que Chuck voulait sourire, mais qu’il était trop fatigué, et je le laissai s’endormir à nouveau. Angie s’approcha alors de moi – je refusai de lâcher la main de Chuck – et nous nous mîmes à parler. Elle m’expliqua que Lucy et Chris allaient arriver, mais qu’il leur fallait plus de temps car ils ne pouvaient pas transplaner. J’hochai la tête, l’écoutant avec attention, avant de la presser de questions. Elle me raconta l’appel de ce garçon qui avait trouvé Chuck, qui avait paniqué parce qu’il ne voulait pas appeler les urgences parce qu’il avait peur que tout le monde se fasse choper, parce que c’était un squat, mais Chuck allait mal – Angie avait accouru, elle avait appelé Sainte-Mangouste, tout s’était passé vite. Il était en pleine overdose. Elle ne me raconta pas les détails car je savais que c’était trop difficile pour elle, trop frais, mais je devinais à demi-mot la vision de son neveu sur le sol, les lèvres bleutés, les yeux révulsés et le cœur ralenti. Je n’osais pas imaginer la peur qu’elle avait dû ressentir.

On parla un long moment, puis elle descendit chercher Chris et Lucy qui devaient être arrivés. Alors qu’elle sortait, Chuck reprit connaissance. Il avait l’air épuisé, et il avait la gorge sèche – montée sur des ressorts, je bondis, attrapant un verre d’eau. Soutenant sa tête et la penchant légèrement, je portai le verre à ses lèvres – elles étaient gercées, remarquai-je – et l’aidai à boire, tout doucement. J’avais l’impression que cela le vidait de ses forces. Il laissa retomber sa tête sur l’oreiller, poussant un grognement de douleur.


- Promis, tu es en sécurité maintenant, lui dis-je tout doucement. Je déposai un baiser le sommet de son crâne. Tu vas t’en sortir.

Mes scénarios nocturnes et inquiets ne relataient jamais la suite, mais j’étais bien décidée à l’écrire, belle cette fois-ci, loin de la catastrophe, pleine de douceur et de pardon.
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Chuck Carlton


Chuck Carlton
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MessageSujet: Re: Like a bird set free (Ruby)   Like a bird set free (Ruby) Icon_minitimeSam 8 Oct - 14:37

Le temps ne passait plus de la même manière : je n'avais aucune idée de ce qui se passait autour de moi, des jours, des nuits, des minutes, je dormais et j'ouvrais les yeux et je les refermais et je n'avais aucune idée de l'étendue du temps entre chaque action, parfois il faisait sombre, jour, parfois Angie était là, parfois pas, parfois il y avait Chris, Lucy, Lilian, Ruby, parfois il n'y avait personne (et ces réveils-là étaient les plus difficiles). Une chose ne changeait pas : le trou dans mon coeur, la vrille dans mon cerveau, et l'horrible sensation de manque dans tout mon corps que les potions des Médicomages parvenaient à peine à masquer. Mais c'était là, bien là, et je savais que je n'avais plus qu'à reprendre du poil de la bête avant de vraiment faire face à tout le reste. J'étais déjà défaitiste avant même de commencer : je n'allais jamais y arriver. Évidemment, je n'en avais rien dit à personne - déjà parce qu'aligner deux mots à la suite me coûtait trop d'énergie, ensuite parce que tous ces gens autour de moi que j'avais tous laissés tomber comme des vieilles merdes avaient l'air tellement convaincus que j'allais me sortir de là en un claquement de doigts que je ne voulais pas les décevoir... Pas encore, pas une deuxième fois, après tout ce que j'avais fait...

Et puis il y avait Coop. Coop qui présidait la montagne des déçus et qui devait être tellement dégoûté de moi que j'avais envie de chialer comme un bébé quand j'y pensais. D'ailleurs, la première fois que j'avais repensé à lui, je veux dire vraiment, vraiment depuis des mois, je m'étais retrouvé en train de chialer sous mes draps et heureusement que c'était un soir et qu'il n'y avait plus personne dans ma chambre. Je n'étais pas débile : je savais très bien ce qui s'était passé dans ma tête, et Coop avait été mis dans un coin et on en parle plus, et maintenant que je reprenais conscience de ça, il me revenait en pleine face. J'étais vraiment un bouffon. Depuis le début. Autant ça me touchait que les gens se soient autant accrochés à moi quand j'avais essayé de les dégager, autant je me demandais bien ce qui leur était passé par la tête. Enfin... C'était comme ça. Il fallait que j'arrête de croire que je pouvais tout changer.

Souvent ça n'allait pas, je passais des nuits atroces, j'avais la gerbe, j'avais chaud et froid, je me sentais mal et fragile et je tremblais, j'étais obligé de demander l'aide des infirmières, tout ça tout ça. Parfois ça allait un peu mieux, surtout quand j'avais de la compagnie, et que j'avais dormi comme un loir une bonne partie de la journée.

Mais la majorité de temps, au fond, je ne comprenais pas. Je ne comprenais pas vraiment où j'étais, où j'allais, qui j'étais vraiment, je ne comprenais pas ce que j'allais devenir, je me perdais, j'étais dans les vapes, et... La suite me faisait peur.

La première fois que je revis Ruby, j'étais encore bien dans le coltar. J'avais des souvenirs très bizarres de ces derniers mois, de tout ce que j'avais fait ou dit, ou pas, de l'enchaînement des évènements. C'était une espèce de grosse boule pleine de choses que je voulais oublier, mais qui n'avaient pas trop de cohérence et surtout qui pouvaient être vraies ou fausses, je ne pouvais pas assez faire confiance à mon cerveau là-dessus. Vu tout ce qu'il avait reçu, le pauvre ! Il ne savait rien de certain, il se doutait, il mettait de côté le plus horrible. En tout cas, à propos de Ruby, il se souvenait d'une chose assez concrète : que je lui avais gueulé dessus comme de la merde et que je l'avais frappée (??) ou poussée (??) enfin bref pas cool du tout, et que j'avais du lui foutre la trouille de sa vie. Du coup, j'avais essayé de lui dire tout ce que je pensais, que j'étais désolé, mais avec les moyens du bord.

- Chut, chut. Pas maintenant. Je suis désolée aussi. Désolée de t’avoir laissé. Je suis tellement heureuse que tu sois en vie. C’est tout ce qui compte.

Je savais qu'elle serait là s'il le fallait - Ruby n'était pas du genre à laisser tomber les gens, et quand je la laissais s'occuper de moi tout en me rendormant à moitié, je sentis que sa présence me faisait du bien et me rassurait, même si elle n'effaçait pas tout non plus.


***


Au bout de deux semaines à Sainte Mangouste, on m'expliqua que je pouvais quitter l'hosto car je n'avais plus besoin de suivi et de soins aussi intensifs (l'idée que j'avais vraiment failli crever avait toujours du mal à faire son chemin dans ma tête), et je crus que j'allais faire une crise de panique en discutant avec le médecin qui me disait tout ça tranquillement. Euh... Partir... Sortir... Rentrer chez moi ?! Mais ils voulaient ma mort ?? J'avais limite peur de descendre dans la cour de Sainte Mangouste et de me confronter un peu plus à la réalité alors le vrai monde, dehors, y retourner ?! Autant m'envoyer direct à la morgue - j'avais autant confiance en moi qu'en un veracrasse pour résoudre un problème de logique. Mais Angie (la fine mouche qui voyait toujours quand je commençais à tomber dans une spirale infernale) m'avait vite rassuré : je n'allais pas rentrer "chez moi" (même si je n'en avais plus), c'était là le détail. On me proposait un "établissement approprié pour les gens qui ont traversé les mêmes choses que moi", c'est à dire une cure de désintox pour les junkies, en d'autres mots. Mais... Bon. Ok. Aussi étrange que ça me fasse de me classer dans cette catégorie, et j'avais toujours envie de rappeler que Non mais je n'avais pas ça longtemps etc, c'était le cas, au fond. Carrément le cas - je devais bien me rendre à l'évidence. Alors, oui, il fallait que j'aille en cure. Sinon, ça ne servait à rien.

Pourtant, une partie de moi ne pensait qu'à ca : retourner chez mes pots, refaire des soirées, me flinguer le cerveau, oublier, sentir les choses, être heureux, ne penser à rien, juste vivre. Sauf que bon : ça avait bien failli me tuer. J'avais failli me tuer. Je m'étais piqué tellement rapidement après le premier shoot, je savais très bien ce que je faisais, au fond. Mais maintenant que je m'étais réveillé, j'avais compris une chose : je ne voulais pas mourir. Je ne voulais plus mourir.


***


Ma chambre était petite mais confortable, elle avait une vue sur un parc, à l'arrière de Londres ; c'était bizarre d'être dans un endroit sorcier de Londres en-dehors du chemin de Traverse, mais c'était marrant. En fait, en me retrouvant ici, au milieu de sorciers une nouvelle fois, j'avais l'impression de renouer avec cette partie de moi que je peinais à retrouver et que j'avais mis clairement mise de côté ces derniers temps. C'était agréable, et je me rendais compte qu'il y avait plein de trucs qui m'avaient manqué, même des trucs tout cons : les jeux d'échecs sorciers, les parties de cartes magiques, tout ça. Parfois, Tess venait le week-end, et on passait des heures à jouer et à ricaner, comme avant. C'était cool. Par contre, à part la famille, les visites étaient un peu plus restreintes, mais ça me faisait du bien. Comme on m'avait expliqué, j'avais "besoin de me reconstruire" et j'étais tellement dans les choux, tellement crevé, que rien que discuter une heure avec quelqu'un me vidait de toute mon énergie. Bien sûr je passe les premiers temps : tête dans la cuvette, vomissements, tremblements, crises de manque, mal partout, hurlements, je voulais tout quitter et partir, je pouvais en plus, ils n'avaient pas le droit de me retenir ici, je pouvais décider de m'en aller, j'allais le faire.

Mais je ne l'avais pas fait.

C'était un petit havre de paix, ici, entre gens pétés du casque qui n'étaient pas trop sûrs qu'ils allaient réussir à affronter un jour le monde extérieur. Mais ça faisait du bien.

Et puis j'étais allé mieux, ma santé s'était stabilisée, je prenais de moins en moins de potions, j'arrivais à rester maître de moi, etc. J'avais retrouvé un rythme stable, je dormais la nuit, je prenais trois repas par jour, je pouvais me concentrer sur des tâches plus d'un quart d'heure, tout ça. Ça faisait plus d'un mois. J'étais prêt à partir d'ici, et c'était à moi d'en prendre la décision, on m'avait expliqué. Il ne fallait pas que j'ai peur.



***


Angie, Hamish et Ruby étaient là, à m'attendre dehors - Hamish avait tenu à venir car il voulait s'assurer que je n'avais besoin de rien là-bas, vu que j'avais laissé des affaires chez eux quand j'avais "déménagé". Connaissait Ruby, je me doutais que je n'aurais besoin de rien, mais Hamish avait toujours besoin de justifier la raison de sa présence, comme si il ne voulait pas me brusquer. C'était la première fois que je mettais les pieds dehors tout seul, en dehors des sorties organisées avec les autres. J'avais une curieuse sensation de liberté. Pourquoi ?! Dehors, rien n'avait changé, pourtant. À part moi. Je leur souris et les embrassai, et mis mon sac sur mon épaule. Angie avait apporté un ÉNORME panier rempli de bouffe qu'elle avait cuisiné, des trucs que j'aimais, pour que Ruby n'est pas "trop à faire ce soir" comme si Ruby venait d'adopter un enfant de quatre ans. Je leur fis la remarque et elles rigolèrent, et j'eus la très nette impression que Ruby considérait qu'elle adoptait effectivement un enfant de quatre ans, mais bon. Juste après avoir transplané, on déposa mes affaires, on prit le thé, tout ça, et puis Angie et Hamish nous dirent au revoir. Juste avant de partir, ma tante me donna une boîte en métal, un peu lourde. Je la pris et la mis sous mes affaires - je savais ce que c'était, je lui avais demandé. Elle me serra fort dans ses bras, et quitta l'appartement.
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Ruby Standiford-Wayland


Ruby Standiford-Wayland
Apprentie à Sainte Mangouste



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Ami(e)s: Lizlor; « Maybe home is nothing but two arms holding you tight when you’re at your worst. »
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MessageSujet: Re: Like a bird set free (Ruby)   Like a bird set free (Ruby) Icon_minitimeLun 10 Oct - 1:45

Le temps était devenu étrange. Un peu trop long, toujours en suspens, comme si j’attendais toujours quelque chose. Souvent, je regardais mon téléphone, cherchant un nouveau message d’Angie ou un appel de Lucy, ne serait-ce qu’une petite chose pour me rappeler que je n’avais pas rêvé et que Chuck était encore là. Les deux semaines qu’il avait passé à Sainte-Mangouste avaient été plus simples en un sens. Je pouvais venir le voir souvent – tout en lui laissant le temps de reprendre des forces tranquillement – et je croisais souvent son oncle et sa tante, ou même Lilian, qui venaient prendre de ses nouvelles. Je travaillais aussi là, ce qui facilitait la tâche, j’avais le sentiment que Chuck était toujours tout près de moi, même lorsque j’étais occupée à confectionner des potions ou à me plonger dans mes lourds grimoires, je sentais qu’il était là, non loin, et qu’il était en sécurité. J’avais toujours un œil sur lui, d’une certaine manière. Mais je savais qu’il devait bientôt partir, ou du moins qu’il ne pouvait pas rester éternellement à l’hôpital. Angie en avait discuté avec les médicomages, puis avec moi, elle avait évoqué le centre de désintoxication sorcier dont on lui avait parlé. C’était pour le mieux, et j’étais heureuse qu’il existe cette alternative dans le monde sorcier, ce que j’ignorais d’ailleurs. Je m’étais même fait la réflexion que si j’avais su, j’aurais aimé y aller, peut-être, avant de me raviser. J’aurais été terrifié à l’idée d’être internée, d’être dans un univers médical où on aurait reconnu que j’étais malade, que je souffrais d’addiction. L’idée même que Chuck accepte me paraissait impressionnante, et pourtant, il avait dit oui. Je me demandais s’il voyait à quel point il était courageux de prendre cette décision.

Bien sûr que j’étais touchée parce que c’était Chuck, parce qu’il avait failli mourir, et dès que j’y repensais, un frisson remontait tout le long de ma colonne vertébrale et j’avais la nausée. Mais je savais aussi que c’était plus profond. Dans cet acte désespéré, dont j’ignorais à quel point il avait été volontaire, j’y voyais en miroir ma propre souffrance, ma propre histoire, mon propre coma éthylique. Cela touchait ce que j’avais fini par enfouir, pour continuer à vivre normalement. J’avais fui une étiquette que j’avais toujours refusé de me mettre, alcoolique, parce que ce n’était pas possible que moi, que l’adolescente que j’étais, souffre de cette chose qui semblait si distante et si adulte. Maintenant, je voyais Chuck dans son lit d’hôpital, dans son mal-être, et je me disais à demi-mot que oui, il était toxicomane. Cette étiquette si étrange, si… Fausse, quand je pensais à Chuck, était pourtant vraie. Il l’avait été. Tout comme j’avais été alcoolique. C’était si étrange. Plus encore, je remarquais combien Chuck et moi nous ressemblions, tout en étant en apparence parfaitement opposé. J’avais du mal à croire que ce mal qui m’avait rongé si longtemps se retrouvait à présent à le ronger lui.

J’avais failli – et voulu ? – mourir. Il avait failli – et voulu ? – mourir. Comme c’était curieux, la façon que la vie avait de nous rapprocher sur ça. Je me demandais souvent, et si je parlais de tout ça à Chuck, du rapport que j’avais eu à l’alcool, aurait-il mieux compris, parce qu’il l’avait vécu aussi ? Bien sûr, j’avais été entouré dans mes épreuves, mais je m’étais toujours sentie seule, finalement, dans une souffrance bien distincte qu’il semblait difficile à comprendre de l’extérieur. Bien sûr, Ewan et Lizlor étaient empathiques et pleins de bonnes attentions, je savais qu’ils m’avaient écouté et m’avaient entendu, mais je savais qu’au fond, il leur manquait une pièce pour réellement comprendre. Je ne leur en voulais pas, au contraire, j’étais heureuse qu’ils ne puissent pas tout saisir, qu’ils ne puissent pas imaginer dépendre aussi fortement de quelque chose. Mais à présent, l’idée que Chuck était la seule personne dans ma vie à pouvoir saisir cette partie de ma vie, et moi saisir celle de la sienne… C’était inattendu.

Mais chaque histoire était particulière. En voyons Chuck dans son lit d’hôpital aussi blanc que la pâleur de son visage, je me sentais loin malgré moi, car je ne pouvais pas tout saisir. Pourtant, je voulais lui dire… Je voulais qu’il sache combien je comprenais, sans vraiment savoir, en sachant que les choses m’échappaient, sûrement autant qu’à Chuck, mais pourtant je le comprenais, je savais… Je savais combien les choses pouvaient devenir insupportable, combien s’échapper de la douleur devenait vital, combien l’alcool et la drogue étaient facile, oh, je voulais tellement que Chuck sache que je savais, qu’il n’était pas seul, plus jamais, que jamais je ne le jugerais. Pouvait-il le comprendre dans la façon que j’avais de le couver du regard, de lui sourire doucement quand il ouvrait ses yeux fatigués et cernés ? Il me souriait parfois en retour, et nous ne parlions que très peu parce qu’il était épuisé, mais j’essayais d’entourer tous mes mots et mes gestes de douceur, pour qu’il puisse sentir ce que je ne pouvais pas dire.

Puis il était parti en centre de désintoxication, et le temps était devenu long, ponctué de coup de téléphone avec sa tante et ses amis, de soirées passées à me demander ce qu’il faisait, est-ce qu’il s’en sortait. Angie me disait qu’il reprenait des forces, qu’il essayait très fort et y mettait du sien. Quelque chose en moi gonflait de gratitude, mais aussi de fierté – bien sûr que j’avais confiance en Chuck, mais j’avais aussi confiance en les démons qui l’agitaient. Mais il continuait, il s’accrochait. Il avait repris contact avec Tess, il parlait plus, il mangeait mieux. Il guérissait. J’étais tellement rassurée. Je me sentais inutile, loin de lui, mais je savais qu’il avait besoin de faire cela par lui-même, et j’admirais la force qu’il réussissait à avoir malgré tout.

Nous avions parlé avec Angie de son retour dans le monde extérieur, et de cette problématique de logement. J’en avais parlé à Lizlor d’abord, inquiète de lui imposer mon idée, mais sans surprise elle avait compris et elle avait approuvé avec un petit sourire comme ceux dont elle avait le secret, ceux qui donnait l’impression que tout allait bien se passer. Alors j’en avais discuté avec Angie, nous étions toutes les deux d’accord sur le danger qu’il retombe dans ses anciennes fréquentations en logeant chez certains de ses amis, il lui fallait de l’indépendance, mais aussi de la stabilité, qu’il soit dans un environnement sorcier ; le choix semblait évident, je n’attendais qu’une chose, qu’il vienne chez Lizlor et moi, qu’il y soit en sécurité. Mais je m’inquiétais d’être un peu trop empressée, d’imposer quelque chose qu’il n’était pas prêt de faire, mais il en avait discuté avec Angie, il avait accepté, elle aussi avait semblé trouver que c’était pour le mieux. Elle savait, en même temps, qu’en matière d’addiction, je m’y connaissais – une nuit un peu plus longue que les autres à Sainte-Mangouste, nous avions parlé de mon travail, de mon ambition de travailler dans ce domaine, puis petit à petit, j’avais glissé mon expérience personnelle, brièvement, juste pour qu’elle comprenne. Elle n’avait rien dit, son regard n’avait pas changé, elle avait simplement peut-être mieux compris pourquoi tout cela me touchait plus que tout. Elle avait l’air d’avoir confiance en moi, en ma capacité à m’occuper de Chuck s’il logeait chez moi. Elle ne serait jamais bien loin, de toute façon.

Il faisait gris mais bon lorsqu’on alla chercher Chuck le jour de sa sortie. J’avais posé ma journée, et Lizlor elle travaillait tard, ce qui me laissait un peu de temps avec Chuck pour son installation. Lorsqu’il sortit, je sentis mon cœur bondir en voyant qu’il avait meilleur mine. Il me souriait ! Je le serrais dans mes bras, me sentant quelque peu rassurée. Il ria du panier d’Angie, plaisantant sur le fait que j’adoptais un enfant, et si je riais de bon cœur, je sentis une sensation particulière dans le creux de mon ventre, comme si tout à coup je me souvenais que Chuck n’était pas de ma famille. J’avais presque fini par oublier, par le considérer comme tel. C’était bizarre d’imaginer qu’il y a encore quelques années, Chuck n’était même pas dans ma vie.

Nous transplanâmes tous ensemble, et nous prîmes le thé ensemble. J’avais allumé un petit feu dans la cheminer, pour égayer la pièce, et nous parlâmes de choses et d’autres, l’atmosphère à la fois lourde et légère. Finalement, ils partirent, laissant Chuck et moi dans la petite entrée, seuls. Cela me faisait étrange, comme si j’avais du mal à réaliser qu’il était vraiment là, chez moi. Sans un mot, je lui fis signe de venir dans ma chambre où il avait posé ses affaires. Depuis la fenêtre, on pouvait voir le ciel qui commençait à se dégager.


- J’ai fait de la place dans l’armoire, tu pourras y mettre tes affaires, dis-je en faisant signe vers celle-ci. Ma chambre était d’ailleurs parfaitement en ordre, comme toujours, mais j’y avais porté une attention particulière maintenant que je savais que Chuck allait y loger. Sur mon plan de travail, les chaudrons étaient alignés, et tout avait été nettoyé minutieusement. J’ai changé les draps aussi, continuai-je en les pointant. C’était ceux qu’Ewan m’avait offert, avec des petites étoiles scintillantes sur la housse de couette. Au-dessus du lit, des photographies d’Ewan, de Lizlor, de l’Oregon, étaient collées sur le mur incliné. J’eus un petit sourire amusé à l’idée que Chuck allait dormir sous eux. J’avais aligné sur ma petite bibliothèque mes peluches – sauf Lizloup que j’avais mis dans la chambre de Liz – pour ne pas qu’elles dérangent Chuck, mais sur le lit il restait un petit lionceau en peluche, assis sur une pile de serviettes. J’ai acheté des serviettes, comme ça je me suis dit que tu aurais les tiennes. Et ça, c’est un cadeau de bienvenue. Je tendis la peluche à Chuck. Tu vas voir, il y a des peluches partout ici, Lizlor en a pleins, du coup je me suis dit qu’il fallait que tu en aies une aussi.

Je lui fis un petit sourire, espérant qu’il comprenne qu’il était sincèrement le bienvenu. On retourna dans la pièce principale, et d’un coup de baguette, je nous resservie du thé que je fis voler jusqu’à la petite table d’appoint à côté du canapé. Au-dessus de ce dernier était accroché un tableau sur lequel Lizlor et moi écrivions des petits mots, à l’occasion, pour communiquer. Elle avait écrit « Bienvenue Chuck » dessus, de son écriture brouillonne. J’eus un nouveau sourire. Je m’assis à côté de Chuck, tout près de lui. C’était si étrange d’être à nouveau face à lui, de le voir me regarder – le souvenir de son corps faible dans le lit d’hôpital était encore si frais.

- Angie m’a dit que tu avais fait beaucoup d’efforts au centre, j’étais impressionnée de tout ce qu’elle me racontait, dis-je d’une voix douce emplie de fierté. Je posai ma main sur son avant-bras, et le serrai légèrement, tout en soutenant le regard de Chuck. Tu te sens comment ? On est pas obligé d’en parler, si tu veux, ajoutai-je pour qu’il comprenne qu’il était libre de choisir. En tout cas, tu es chez toi ici, maintenant, conclus-je avec un petit sourire. J’étais si heureuse qu’il soit là, à présent. J’étais si fière de lui, s’il savait…

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MessageSujet: Re: Like a bird set free (Ruby)   Like a bird set free (Ruby) Icon_minitimeDim 16 Oct - 17:19

Tout avait été fait pour m'accompagner, de toute façon, et en plus de (ce qu'il me restait de) ma famille et de mes amis, je savais que j'étais encore suivi, que le centre ne me lâchait pas comme ça d'un coup, que si quoi que ce soit n'allait pas je pouvais retourner les voir - je pouvais même y retourner, mais il ne fallait pas. Je le savais. Y retourner au moindre doute, c'était céder, c'était ne pas réussir à aller de l'avant. Heureusement, le parrain qu'on m'avait attribué était génial, et je savais qu'avec lui aussi j'avais un soutien inconditionnel. On avait déjà prévu d'aller à la salle de sport ensemble, et je me sentais carrément plus serein en sachant qu'à n'importe quelle heure du jour et de la nuit il pouvait débarquer si j'avais un problème. Bien sûr, maintenant que je renouais avec tout le monde, j'avais mes amis aussi, mais c'était différent - non seulement il fallait que je me rattraper auprès d'eux, ce qui n'était pas forcément gagné, et puis... Et puis c'était quelque chose d'important pour moi, je voulais leur prouver que j'en étais capable, je voulais leur montrer que je n'étais pas un connard fini, et pour ça j'avais aussi besoin d'y arriver sans leur coller aux basques dès que ça n'allait pas. La liste était longue, en tout cas... Ça faisait partie d'une des choses que je devais faire, dans ma liste pour me relever de tout ça : m'excuser auprès de ceux que j'avais blessé alors qu'ils comptaient pour moi et avaient tout fait pour m'aider. Le meilleur moyen, pour commencer, selon Matt, c'était d'écrire des lettres ; on arrivait toujours mieux à dire ce qu'on pensait en écrivant, et si j'avais râlé en disant que j'étais loin d'être écrivain, j'avais commencé un peu, et je devais bien avouer que c'était assez pratique pour structurer tout ce que je voulais dire.

Et puis... Il y avait Emmy, et cette lettre-là, impossible. Impossible de la commencer, impossible de m'y mettre.

La chambre de Ruby aurait été une source de blagues géniales si j'avais été un peu plus en forme : impeccable et millimétrée et harmonieuse et claire et simple, une vraie chambre de Serdaigle maniaque et tyran de l'ordre et de la propreté (ce qu'elle était, on ne va pas se mentir). Mais j'avais tellement besoin de cadre et de structure que ça ne m'angoissa pas plus que ça, et je déposais mes affaires et surtout la petite boîte en métal sur la table de nuit, pressé de m'en débarrasser comme si elle me brûlait les doigts mais aussi attiré par elle comme un aimant.


- J’ai fait de la place dans l’armoire, tu pourras y mettre tes affaires. J’ai changé les draps aussi. Je lui souris - je me sentais crevé à l'extrême, mais je ne voulais pas lui dire, je ne voulais pas lui faire croire que j'étais juste là pour l'hôtel non plus. J’ai acheté des serviettes, comme ça je me suis dit que tu aurais les tiennes. Et ça, c’est un cadeau de bienvenue. Tu vas voir, il y a des peluches partout ici, Lizlor en a pleins, du coup je me suis dit qu’il fallait que tu en aies une aussi.

Je pris la peluche et souris, et la remerciai. En la suivant ensuite, je vis le mot sur le tableau, plein de couleurs, en me disant que c'était quand même drôle que la meuf qui m'avait foutu un pain prenne maintenant la peine de faire en sorte que je sois le bienvenu.

J'avais une petite boule dans la gorge, pas parce que j'étais mal à l'aise, au contraire : parce que j'étais bien, bien installé, bien accueilli, bien pris en chambre, bien accompagné. Je n'avais plus trop l'habitude. Et j'avais peur, aussi : j'étais épuisé, je me sentais un peu fébrile, comme maintenant dès que j'avais un peu faim, un peu soif, un peu envie de dormir - mon corps donnait l'impression qu'il n'allait pas survivre une seconde, que je devais tout de suite le satisfaire, et je savais que c'était angoissant si je mettais trop de temps à le faire car alors la crise de manque, cachée, pouvait se faire sentir. Je m'assis sur le canapé, et laissai Ruby nous servir le thé.


- Angie m’a dit que tu avais fait beaucoup d’efforts au centre, j’étais impressionnée de tout ce qu’elle me racontait. Ah, voilà, on y venait - je soutins son regard. Tu te sens comment ? On est pas obligé d’en parler, si tu veux.

- Ça va, mais je suis fatigué... Enfin, maintenant, je suis tout le temps fatigué, dédramatisai-je en haussant les épaules.

- En tout cas, tu es chez toi ici, maintenant.


Je pris la tasse de thé chaud et en bus, sentant que ça me réchauffait un peu de l'intérieur. Sans rien dire - il fallait que je me réhabitue un peu à parler comme ça - je regardai autour de moi, la porte de la chambre de Lizlor, le petit salon, le mur à moitié ouvert qui donnait sur la cuisine, la petite cheminée, le balcon. L'appart était cool. Parfois je me demandais ce que mon appart était devenu, qui l'avait récupéré, qui y habitait, comment il était. J'imaginais la transformation, ou bien je me remémorais juste des souvenirs là-bas, des soirées, l'installation, la chambre de Coop, tout ça. Je savais pourquoi je l'avais quitté ; on m'en avait jeté parce que je ne payais plus le loyer, mais je m'étais mis à le détester, cet endroit où j'avais vécu avec Coop et qui avait été notre premier chez nous. Je ne pouvais pas y rester sans lui. Pour rien au monde je n'y serais retourné, mais maintenant je n'y pensais plus de la même manière... C'était un peu plus comme un souvenir à garder au chaud.

- Euh, merci, dis-je après de longues secondes de silence, parce que je m'étais persuadé dans mes pensées. Merci pour le thé, les serviettes, euh... Je m'embrouillais complètement. Désolé, j'ai un peu perdu l'habitude de tout ça.

Libre à elle d'interpréter le "tout ça" : je n'étais clairement pas au top pour lui expliquer. Instinctivement, je fis glisser ma tête sur son épaule. Elle sentait bon.

- On est bien chez vous... J'avais l'impression que si je cédais et que je fermais les yeux, je m'endormais tranquille, bercée par le souffle de Ruby et sa présence réconfortante. Mais je savais que je ne pouvais pas non plus faire tout ce que je voulais pour l'instant ; j'avais des comptes à rendre et je ne voulais pas qu'on me prenne en pitié juste parce que j'étais une loque, je voulais lui montrer à elle aussi que je pouvais être plus que ça. J'attrapais sa main et me redressai : Ruby, je sais que j'ai vraiment été horrible avec toi, bon... Je ne me rappelle pas vraiment de tout mais je regrette tellement, je regrette de t'avoir engueulée et de t'avoir poussée, alors que tu essayais juste de m'aider. Je suis vraiment désolé, je sais que ça a été dur pour toi et... Et maintenant tu fais tout ça pour moi alors, euh... Merci, t'es vraiment pas rancunière, conclus-je en essayant de rire.

Je me doutais qu'elle me comprenait, qu'elle savait ce que j'avais traversé en quelque sorte, mais quand même ; je lui devais bien ça.
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Ruby Standiford-Wayland


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MessageSujet: Re: Like a bird set free (Ruby)   Like a bird set free (Ruby) Icon_minitimeJeu 20 Oct - 21:22


Je me sentais déstabilisée, pas parce que je n’avais jamais été proche de quelqu’un de si fragile – je l’avais même été moi-même – mais plutôt parce que je n’aurais jamais pensé trouver cela en Chuck. Je savais qu’il cachait beaucoup, derrière ses grands airs de Mister Gryffondor, qu’il y avait plus, une sensibilité que lui-même semblait refuser, mais j’avais pris l’habitude de son courage vif et brûlant, aussi rouge que le blason de sa maison. Maintenant, il était assis dans mon petit appartement, sur le canapé moelleux, avec son visage pâle et les cernes bleutées qui tiraient vers le violet, et il regardait doucement le vide, avec un air perdu. Sa fragilité était si prononcée, comme si elle émanait de lui, à fleur de peau, et j’avais peur de faire quelque chose de mal et que soudainement il se brise un peu plus. Pourtant, j’avais confiance en lui, en sa résilience, j’avais su par Angie qu’il avait fait tous les efforts possibles durant sa cure en désintoxication. Il allait mieux, il prenait le bon chemin malgré les difficultés, et cela le rendait plus admirable qu’il ne pouvait l’imaginer. Mais l’instinct maternel au fond de moi n’était pas calmé, et craignait silencieuse la difficulté de la suite ; le risque de rechute, la peur de se reconstruire, toute la vie qui avait été bousculé. Je me demandais si Chuck avait peur aussi, à quel point il était confiant, sur quoi il basait ses forces. J’imaginais que Coop jouait un rôle dans sa motivation, malgré sa disparition. Chuck n’en avait jamais eu rien à faire de l’opinion des autres, et pourtant, celle de Coop l’influençait depuis toujours. J’eus un petit sourire pour moi, en pensant à combien Coop aurait été heureux que Chuck soit sur le chemin de la guérison, malgré tous les obstacles.

- Ça va, mais je suis fatigué... Enfin, maintenant, je suis tout le temps fatigué.

Il haussa les épaules, comme il faisait souvent pour dire que ce n’était pas grave – ce qui m’énervait souvent d’ailleurs, et me rappelait la façon qu’Ewan avait de s’écarter, de dire « tant pis » et de prétendre que ce n’était pas important.

- Je sais, répondis-je d’un ton affectueux et compréhensif. Chuck savait que je comprenais. Ça va prendre du temps à ton corps de te rétablir, mais tu vas voir, ça va te faire du bien de le retrouver.

Je n’avais pas besoin de servir le discours cliché à Chuck, de lui dire que c’était comme une renaissance, des retrouvailles, ou que ça allait être facile et se faire tout seul. Les crises de manque n’étaient sûrement pas loin, je me doutais qu’elles reviendraient et qu’elles seraient terrible – j’eus un petit frisson le long de mon dos. Cela me rappelait des souvenirs brumeux et distincts à la fois, que j’avais essayé d’enfouir mais qui était toujours bien frais. Je me demandai si les crises liées à la drogue étaient très différentes de celles liées à l’alcool, et comment Chuck les vivait, comment il réussissait à les gérer. Je m’étais un peu renseignée, avant qu’il arrive chez nous, pour savoir comment m’y prendre si cela arrivait. Mais malheureusement c’était compliqué, chaque cas était unique, et les solutions étaient encore bien peu nombreuses. Cela me rappela l’objectif que j’avais commencé à développer pour ma vie professionnelle future, et voir Chuck ainsi ne faisait que renforcer mes idées ; il fallait absolument trouver des solutions pour lutter contre l’addiction et aider à s’en sortir, en douceur. Je lançai un regard à Chuck, qui semblait perdu dans ses pensées depuis que je lui avais dit qu’il était chez lui. Il avait l’air fatigué, mais un peu rassuré, et cela me rassura en retour. J’avais envie qu’il soit bien – mieux.

- Euh, merci. Merci pour le thé, les serviettes, euh... Désolé, j'ai un peu perdu l'habitude de tout ça.

Je lui fis un petit sourire qui lui disait de ne pas s’inquiéter, et je savais qu’il avait compris. Il n’avait pas besoin de s’expliquer, pas maintenant, pas s’il ne voulait pas. Je respectais le temps que cela lui prendrait, et je ne l’avais pas accueilli pour qu’il me remercie en retour, je l’avais fait parce que c’était une évidence, au-delà de moi, parce que je ne voyais rien d’autre. C’était plus fort que moi, en un sens. Chuck appuya sa tête contre mon épaule, et je sentis sa respiration chatouiller ma peau, me faisant sourire. Il eut un moment de flottement, où je n’avais rien envie de dire, simplement de sentir la douceur qui nous envahissait, cette douceur un peu désespérée mais bien présente.

- On est bien chez vous... Je souris. Je ne voulais rien de plus que ça, qu’il soit bien. J’espérais qu’avec le temps, il se sente même chez lui. Je laissai à nouveau le silence nous envahir, car je ne voulais pas briser ce moment, mais Chuck se redressa et m’attrapa la main, me regardant tout à coup très sérieusement. Je sentis qu’il puisait quelque chose en lui, et je lui fis un sourire, sentant ce qu’il allait faire. Ruby, je sais que j'ai vraiment été horrible avec toi, bon... Je ne me rappelle pas vraiment de tout mais je regrette tellement, je regrette de t'avoir engueulée et de t'avoir poussée, alors que tu essayais juste de m'aider. Je suis vraiment désolé, je sais que ça a été dur pour toi et... Et maintenant tu fais tout ça pour moi alors, euh... Merci, t'es vraiment pas rancunière.

Machinalement, j’avais secoué un peu ma tête de droite à gauche, comme pour repousser ce qu’il disait, pas parce que ça ne me touchait pas mais parce que je ne voulais pas que Chuck s’épuise à s’excuser. Il était fatigué et fragile, et je ne lui demandais rien pour l’instant. Mais j’étais aussi à nouveau fière de lui, et presque surprise, en voyant la maturité dont il faisait preuve et la sincérité de ses paroles. Je comprenais qu’il regrettait réellement, je savais aussi que l’alcool et la drogue pouvait rendre odieux et si j’avais été blessé, je n’étais pas fâchée. En même temps, il m’avait toujours été très difficile d’être énervée contre Chuck, même lorsqu’il me cherchait un peu, qu’il arrivait en retard quand je lui faisais réviser les potions, ou quand il se comportait comme un crétin. Quelque chose au fond de moi revenait toujours, cet instinct maternel peut-être, et ma frustration envers lui s’envolait rapidement.

- C’est gentil, dis-je tout de même, car je voulais qu’il sache que cela me faisait plaisir. Je m’excuse aussi, j’ai dit des choses que je regrette et ça t’a poussé à bout… Je suis contente que tu ne te souviennes pas, et je préfère oublier aussi. Je ne t’en veux pas, et pour le reste non plus d’ailleurs, ajoutai-je.

Le reste… Il savait ce que je voulais dire. Je serrai sa main un peu plus fort, soutenant son regard, lui souriant paisiblement. Il ne devait pas trop me croire, probablement parce qu’il devait lui s’en vouloir, mais je voulais tout de même lui dire. Petit à petit, il comprendrait que j’étais sincère, tout comme j’avais compris qu’on ne m’en avait pas voulu de mes faiblesses d’alcoolique. Cela prenait du temps.


- D’ailleurs, je voulais te dire… Je sais que c’est… Dur, je grimaçais malgré moi, très dur, ce genre de choses, que parfois on a envie de retomber... C’est humain, et je veux que tu saches que si jamais ça t’arrive, ou que juste ça ne va pas, tu peux m’en parler, je ne te jugerais jamais pour ça.

J’avais parlé d’une voix douce, mais j’espérais que Chuck sente la stabilité qui émanait de moi, je voulais qu’il sente que j’étais là, que je n’avais pas peur, que je le soutiendrais. Mais je sentais aussi quelque chose d’autre, quelque chose de physique ; mon avant-bras gauche me piquait légèrement, à l’endroit de ma cicatrice, comme un rappel douloureux à cette soirée-là… Je frissonnai peu, et bu du thé pour me redonner contenance. Je regardai Chuck – il semblait si perdu que j’avais envie de le serrer dans mes bras pour le rassurer. J’avais envie de lui dire que ça allait être difficile, mais qu’il allait y arriver, que j’avais confiance, qu’on avait tous confiance. Je voulais qu’il sache que je comprenais, je voulais tellement qu’il sente que je comprenais, parce que je savais que ce soutient m’avait longtemps manqué. Comme un miroir, il me renvoyait à mes faiblesses mais à mes forces aussi, et je voulais qu’il ressente cela avec moi aussi.

- Tu sais, je ne t’ai jamais raconté, mais j’ai fait une rechute, une fois… Enfin, plusieurs fois, mais cette fois-là… C’était des mois après que j’ai arrêté de boire. Il s’est passé quelque chose, avec Ewan, et ça a tout déclenché, ça a ravivé un tas de choses que je pensais résolues et j’ai bu, j’ai beaucoup bu… Et j’ai fait des choses que je regrette. J’hésitai, puis relevai la manche de mon chemisier, écartai le bracelet en métal dorée qui cachait légèrement, et révélai la cicatrice verticale le long de mon poignet, celle qui s’étendait sur cinq petit centimètres. Le reste des cicatrices avaient quasiment complètement disparu, et il fallait se concentrer pour voir des toutes petites traces blanches – ou peut-être étais-je la seule à encore les voir. Je lançai un bref regard à Chuck et eus un sourire qui devait ressembler à une grimace. Je pensais vraiment que je ne valais plus rien, que j’étais un poids pour tout le monde, que je n’allais pas y arriver, enfin, je crois que c’était plutôt que je ne voulais plus y arriver, parce que c’était trop difficile. Je me souviens mal, je ne sais pas à quel point c’était un acte conscient, mais je pense qu’au fond je ne voulais pas vraiment… Pas vraiment mourir, mais je pense que ça ne m’aurait pas dérangé. Enfin en tout cas heureusement Scott m’a trouvé et m’a amené à l’infirmerie, j’étais en train de faire un coma éthylique… Je suis restée inconsciente plusieurs heures, j’ai fait des rêves très étranges, avec ma mère puis avec Lizlor qui m’appelait... C’est ça qui m’a donné la force de me réveiller, d’ailleurs. Quand j’ai repris connaissance, j’étais persuadée que tout le monde allait être déçu et m’en vouloir… Mais tu sais, je crois que j’ai mieux compris quand je suis arrivée à Sainte-Mangouste. J’ai compris que je ne pourrais jamais t’en vouloir d’avoir fait ça parce que je sais que tu souffrais juste tellement, j’en veux aux circonstances qui ont fait tout ça, à combien c’est injuste, mais jamais à toi, achevai-je d’une petite voix.

Nos histoires étaient si différentes et pourtant si similaires à la fois – je jetai un regard timide à Chuck. Il savait, lui aussi, n’est-ce pas ?
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Chuck Carlton


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MessageSujet: Re: Like a bird set free (Ruby)   Like a bird set free (Ruby) Icon_minitimeDim 30 Oct - 18:53

L'odeur de Ruby avait quelque chose de magique, j'avais l'impression d'être dans un endroit où rien ne pouvait arriver - enfin, plus rien, pour quelque temps, comme une petite parenthèse, et je sentais toutes mes pensées qui fondaient et se diluaient et je sentais mon corps qui se détendait, d'une telle manière que j'avais un peu de mal à expliquer... Mais c'était tant mieux, pas vrai ? "Le lâcher prise", ce truc que je devais apprendre, que Matt essayait de m'expliquer de temps en temps (et je me foutais de sa gueule quand il essayait de philosopher), c'était peut-être ça ? Je pouvais fermer les yeux et m'endormir, j'en étais certain, tout contre Ruby, nos deux mains l'une contre l'autre. J'étais au chaud, j'étais en sécurité. J'avais parfois du mal à me faire à cette idée.

J'étais en sécurité, c'était bien - mais alors pour le reste... Pour le reste j'étais complètement paumé, j'étais une pauvre loque, je me faisais pitié et j'avais l'impression d'être devenu l'ombre de moi-même, mais ça, c'était une autre histoire. On arrêtait pas de nous répéter au centre qu'il fallait regagner l'estime des autres mais surtout de soi, et que c'était le plus gros du travail, et blablabla. J'avais bien compris. Mais dans les faits... Dans les faits, je faisais juste pitié ? Même mon corps ne suivait plus, j'étais fatigué tout le temps, incapable de parler trop longtemps, de marcher trop longtemps. J'étais devenu ridicule, et j'avais bien de la chance que mes amis et ma famille avaient décidé de faire comme si ça n'était pas un motif d'exclusion.

Il fallait que je me concentre pour ne pas perdre le fil avec Ruby ; j'avais commencé par dire le principal, je m'étais excusé, tout ça, et je sentais qu'on allait avoir une petite conversation et je ne voulais surtout pas lui montrer à quel point j'étais une merde qui aurait pu ne pas suivre et tomber d'épuisement d'un coup ; du coup je me concentrai de toutes mes forces, contre elle, essayant d'avoir du réconfort et du soutien dans tout ce que je pouvais trouver.

Elle se mit à parler, parler, et je l'écoutai sans rien dire, me reconnaissant étrangement petit à petit dans tout ce qu'elle disait, dans tout ce qu'elle expliquait. J'avais envie de chialer - merci mais non, j'étais déjà assez pathétique comme ça. J'avais envie qu'elle me serre dans ses bras, j'avais envie que rien de tout ça ne nous soit jamais arrivé. Je pensais en même temps à la boîte qu'Angie m'avait donnée, qui contenait toutes les photos qu'elle avait pu récupérer de nous, avec Coop. Je lui avais demandé parce que je voulais tout revoir, tout retrouver, je voulais rattraper tout ce temps que j'avais consacré à essayer de me persuader que ça n'avait pas existé, que Coop n'était pas mort d'une façon horrible, je voulais retrouver mes souvenirs et retrouver mon frère d'une manière ou d'une autre, même si je savais pertinemment que j'allais probablement chialer devant les photos, devant sa tête et ses expressions, mais c'était ce qu'il me fallait. J'avais besoin de renouer avec lui, de faire ce chemin là... Et d'écrire cette lettre, et... Rien que de penser à tout ce que je devais accomplir, j'étais épuisé, mais je ne baissais pas les bras pour autant. En tout cas, le récit de Ruby me captiva assez pour que je ne tombe pas d'épuisement, et j'y réagis du mieux possible (c'est à dire pas grand chose), je lui dis comment j'étais désolé pour elle, de ce qu'elle avait traversé, que j'étais content qu'elle soit là pour moi aussi, tout ça. J'avais du mal à tout assimiler, mais quand même : je n'avais pas imaginé qu'elle était allée si loin, que ça c'était passé comme ça, et j'avais l'impression que c'était une nouvelle baffe dans ma gueule, sans trop savoir ce que je prenais pour moi... Parce que j'étais passé à côté de ça, à son sujet ? Parce que je n'avais jamais fait gaffe ? Parce qu'au fond moi aussi j'avais eu envie de crever, parce que je savais très bien que cette dose était de trop et que je l'avais décidé ? Je finis par définitivement me coucher à moitié contre elle, sans lâcher sa main, et je dus m'endormir, parce qu'ensuite elle me réveilla en m'appelant doucement. Lizlor était là, on discuta un peu mais j'étais trop dans le gaz, et quand Ruby m'accompagna à ma chambre, je la serrai une dernière fois dans mes bras en la remerciant.



***


Aussi étrange qu'on aurait pu le penser, la cohabitation entre nous trois se passait carrément bien ; je ne servais pas à grand chose parce que je passais mon temps à dormir, manger, essayer vaguement de me rendre utile et me rendre à mes réunions au centre, et rien de plus. Mais j'étais bien avec Lizlor et Ruby ; elles travaillaient et menaient leurs vies et même si je partageais leur maison et je les obligeais à partager une chambre et à veiller un peu sur moi, ça se faisait si naturellement que je n'avais pas du tout l'impression d'être de trop. Angie était beaucoup là aussi, j'allais pas mal chez Chris et Lucy et Matt m'aidait beaucoup - j'étais définitivement bien entouré, et si j'en étais heureux, j'avais du mal à comprendre comment c'était possible, après tout ce que je leur avais fait.

Ça faisait maintenant une semaine que j'étais chez les filles, et je n'avais toujours pas réussi à écrire cette putain de lettre... Il fallait que je m'y mette, mais à chaque fois je sentais mon coeur se fendre en deux une fois de plus, à chaque fois je me retrouvais sous ma couette à me répéter que je n'en étais pas capable, de toute façon.

Au fond, est-ce que j'étais encore capable de quelque chose ?

Et puis il y avait la présence de tout le monde autour de moi, les petites soirées qu'on passait au coin du feu, la bonne bouffe que faisait Ruby, les jeux de société, les bonnes nuits que je passais - il y avait toujours des petits moments qui me sauvaient, qui me rappelaient que je n'avais pas tout ça pour me laisser abattre, que je devais absolument essayer... Au moins pour Coop.



***


Il était tard mais je n'arrivais pas bien à dormir (c'était soi l'un par l'autre : soit je tombais comme une masse et je dormais dix bonnes heures sans problème, d'un sommeil de plomb, soit je me retournais dans tous les sens et je dormais par intermittence ou même pas du tout, pour les pires nuits), mes pensées tournaient dans ma tête en une spirale que je connaissais bien - depuis que j'avais arrêter la drogue, j'avais bien du affronter la réalité, c'est à dire tout ce qui tournoyait dans ma tête sans pouvoir s'arrêter, même si moi ça me foutait à terre. J'avais tout essayé : lire (un livre que m'avait passé Ruby, mais impossible d'aller plus loin que la deuxième page, ça m'ennuyait et je relisais cent fois la même phrase), faire des pompes, écrire mes lettres, regarder les photos, etc. J'avais tout fait, puis j'avais éteint ma lampe à chaque fois en espérant que ça marche - ça ne faisait rien. Je tournais en rond, et ça me rendait dingue ; plus je tournais en rond et plus je devenais dingue - super. Mes pensées s'étaient tellement emballées que j'avais inévitablement fini par penser à Emmy et à tout ce qui me préoccupait à son sujet, j'étais parti très loin, à tel point que je ne pouvais pas revenir en arrière, que mon coeur s'emballait et que je sentais mes nerfs lâcher - pourquoi je ne pouvais pas devenir, juste dormir ?! C'était si compliqué que ça, alors que j'étais épuisé ?! Et si Emmy ne voulait plus jamais me parler, même pas m'écouter ? Entendre mes excuses ? Et si je n'avais pas été un connard, ça se serait passé comment ? Et si je n'avais pas dit tout ça ? Et si j'avais lu relire toutes nos conversations par messages... Je me serais tiré une balle, non ?! Je ne me souvenais quasiment de rien mais je savais que c'était carrément moche, et ça me donnait envie de me jeter du sixième étage. C'était irrattrapable, c'était de ma faute. Je ne savais pas quelle heure il était, bien trois heures du matin...

Je me rendis compte alors que j'avais tellement transpiré que mes draps étaient humides, que mon coeur battait tellement fort que j'étais essoufflé, que je tremblais, vraiment, que je devais serrer le poing de toutes mes forces pour que mes mains ne tremblent pas comme des idiotes. Rassemblant toutes mes forces, je m'assis dans le lit : mauvaise idée. Très, très mauvaise idée.

C'était comme si on m'avait lâché une tronçonneuse sur la tête, pour faire bref.

Il fallait absolument que j'aille dans la salle de bain : non seulement je me sentais tellement mal à cause de cette chaleur qui m'envahissait, mais si je me foutais pas de l'eau froide sur la tronche je savais parfaitement que j'allais partir en crise de panique totale (j'étais habitué, avec toutes les crises de manque que j'avais eues - mais elles s'étaient raréfiées) et potentiellement j'allais vomir d'une minute à l'autre. Je me forçai à respirer profondément pendant trente secondes avant de me traîner jusqu'à la salle de bain de l'autre côté du petit couloir - j'avais l'impression que c'était le bout du monde.

Je me laissais tomber sur la baignoire juste à temps pour vomir tout ce que je savais, et après je laissai le robinet couler pendant de longues minutes sur mon visage pour essayer de me calmer. Ça marchait, parfois. Je fermai les yeux et l'eau me faisait du bien.

Mais là... Dans ma tête, ça ne se calmait pas. Mes mains tremblaient tellement...

Et tout d'un coup je me dis que si juste je prenais une dose, une toute petite dose, un seul shoot, une moitié même - juste pour me calmer ? Pas pour relancer, pas pour me défoncer, non, pas ça, je ne voulais plus... Mais juste pour aller mieux, pour me détendre... Ça pouvait suffir, ce n'était pas dangereux.

C'était con, tellement con.

Mais j'en avais envie, je ne pensais qu'à ça, je me voyais me lever et sortir, je savais qui contacter, je savais comment faire. J'en avais
tellement envie. Rien d'autre ne pouvait me calmer, je le savais.

Mon reflet dans le miroir faisait peur et je m'aperçus que mes yeux étaient explosés, rouges, et plein de larmes.


- Ruby, appelai-je pas très fort en direction du couloir, Ruby ? Ruby ?!...

Elle arriva très vite, en chemise de nuit.

- Je me sens mal, je n'arrivais même pas à articuler correctement tellement je tremblais de partout, j'avais glissé par terre, le dos contre la baignoire, je serrai mes jambes repliées dans mes bras, et je chialais comme une merde. J'y arrive pas, j'y arrive pas...

Je connaissais bien tout ça, c'était tellement familier, et j'étais tellement résigné.
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MessageSujet: Re: Like a bird set free (Ruby)   Like a bird set free (Ruby) Icon_minitimeMer 2 Nov - 21:31

Je refermai le tupperware, y collai le post-it sur lequel j’avais écrit « ratatouille », accompagné d’un petit smiley souriant, avant de le ranger dans le frigo, à côté de celui contenant du poulet aux champignons. Sur la table, je laissai un mot à Chuck, lui rappelant que j’avais laissé de quoi déjeuner dans le frigo car je passai le midi avec Ewan, que je rentrerai peut-être un peu tard du travail, et je terminai en lui souhaitant une bonne journée. Je jetai un coup d’œil par la baie vitrée du salon. Le soleil s’était levé mais le gris du ciel était un peu sombre. J’attrapai ma veste et mon écharpe, envoyai un baiser volant à Liz qui, affalée sur le canapé, mangeait encore son petit-déjeuner en culotte et tee-shirt trop large. En fermant la porte de l’appartement, je sentis que je souriais doucement malgré moi. C’était drôle combien je sentais que j’allais rapidement m’habituer à ça, à cette petit famille hétéroclite qui se formait.

Chuck n’était pourtant pas là depuis longtemps, mais nous avions déjà commencé à prendre nos habitudes. Bien sûr, il n’était pour le moment pas très présent, car quand il n’avait pas des réunions au centre ou un repas chez Angie ou son parrain, il dormait ou du moins comatait, son corps accusant encore le coup de ces derniers mois. J’avais un peu l’impression d’avoir un petit enfant chez moi, mais j’essayais de refreiner un peu mon instinct maternel de peur de gêner Chuck. Je ne voulais pas qu’il se sente comme un gamin, toujours à devoir être pris en charge, surveiller, je lui faisais confiance et je savais qu’il avait besoin de faire les choses par lui-même. J’essayais simplement de fournir le cadre, autour, pour qu’il se sente en sécurité, qu’il ne s’inquiète pas du reste. Je sentais que cela lui prenait déjà une énergie impressionnante de simplement vivre que je ne voulais pas qu’il s’épuise avec des choses triviales comme la nourriture et le ménage. Pourtant, il aidait aussi, malgré tout, et je trouvais cela adorable. Je voyais bien qu’il y mettait du sien, et si parfois cela me faisait étrange de déléguer tant je voulais m’occuper de tout, j’étais heureuse qu’il participe aussi à la vie de l’appartement.

C’était à la fois plus simple et plus compliqué que je ne l’aurais imaginé. Plus compliqué, parce que je perdais mon espace personnel, ma propre chambre, mon lit, et que la maniaque que j’étais avait du mal à lâcher prise, autant pour cela et pour le rangement de l’appartement qui était un peu chamboulé. Plus simple, parce que finalement, je trouvais un équilibre, que mon envie de mettre à l’aise Chuck prenait le dessus sur tout, que la présence rassurante de Liz m’aidait à apaiser mes craintes. Si l’on m’avait dit il y a quelques années que nous allions être en collocation tous les trois, j’aurais probablement éclaté de rire, et pourtant, nous y voilà… Et je n’aurais échangé la situation pour rien au monde. En sortant de l’appartement, avant de me rendre à Sainte-Mangouste, je levai à un nouveau le visage vers le ciel qui s’éclaircissait. Je souris à nouveau. Les choses étaient bien, parfois.

Je rentrai comme prévu un peu tard, car nous avions eu une réunion en fin d’après-midi puis que j’avais du rejoindre Scott pour lui rendre le livre qu’il m’avait prêté la semaine dernière et prendre de ses nouvelles. En pénétrant dans l’appartement, j’avais été accueilli par une bonne odeur, signe que Lizlor était en train de cuisiner un gâteau, et en m’avançant dans la cuisine, je me rendis compte qu’elle et Chuck étaient en train de prendre un fou rire à cause des oignons que Chuck coupait et qui les faisaient pleurer tous les deux. J’avais l’impression de rentrer et de trouver mes deux enfants en train de faire des bêtises. Je fis leur fis respectivement un baiser sur la joue pour leur dire bonsoir, et les aidai à terminer la préparation du repas, discutant joyeusement de nos journées. En fond, Lizlor avait mis une musique un peu douce, et après le repas, on resta tous les trois, Chuck et Liz jouant à la bataille explosive tandis que je tressai ses lourds cheveux ondulés. Encore une fois, je me surpris à sourire doucement, malgré moi, parce que quelque chose émanait de ce moment et me transperçai tout entière.

Je m’étais endormie tranquillement, le parfum de Liz me berçant, l’esprit ailleurs, pensant à ma journée du lendemain, au travail… Il faisait bon sous la couette, et ma nuit fût sans rêve, légère… Toujours légère, trop légère, si bien que des bruits me réveillèrent alors qu’il faisait un noir d’encre dans toute la pièce et l’appartement. J’entendais des bruits dans la salle de bain, je frottai mes yeux et baillai, tendant tout de même l’oreille. C’était sûrement Chuck… Je fronçai un peu les sourcils. Me redressant sur le rebord du lit, j’hésitai un instant – est-ce que tout allait bien ? Au fond de moi, quelque chose s’était mis à palpiter, comprenant avant.


- Ruby, Ruby ? Ruby ?!...

A peine son murmure me parvenant que je sautais hors du lit, essayant de ne pas réveiller Liz, et je me précipitai dans la salle de bain. Mon cœur se contracta violemment, et mon nez me piqua – une odeur acide régnait dans la petite pièce. Chuck était assis par terre, il sanglotait, tremblant de tout son être, et je m’agenouillai à sa hauteur, attrapant son avant-bras.

- Je me sens mal. J'y arrive pas, j'y arrive pas...

Oh… Je savais que ça allait arriver, n’est-ce pas ? Comme tirée vers le passé, je me vis en lui, je me vis dans ses crises, me rappelant les miennes et leur violence… Je frissonnai. Je savais combien la situation pouvait déraper vite, comment le manque pouvait effacer tout le reste. Mais je savais aussi combien la présence de quelqu’un pouvait tout changer. J’eus une pensée émue pour Lizlor et Ewan, puisant dans leur force et leur bienveillance, mais surtout, étrangement, je puisai en moi, en ma force, car je savais… Je savais que je connaissais ce qui était en train de se produire.

- Chuck, il faut que tu respires, dis-je fermement, en prenant l’une de ses mains. Tu es en train de paniquer, mais ne t’inquiète pas, c’est ton corps, c’est juste ton corps, tu es plus fort que ça. Regarde moi, et respire avec moi, je cherchai son regard et lui fis un petit sourire avant de me mettre à expirer et inspirer lentement, en rythme, voilà, inspire, expire… Inspire… Expire… Voilà, c’est très bien comme ça…

On respira ensemble pendant de longues minutes. Je tenais toujours sa main, et je la serrai, pour qu’il sente ma présence, passant parfois mon pouce sur son dos dans un geste régulier et réconfortant.

- Regarde, tu y arrives, tu peux le faire… Tu as déjà fait tellement, et on est tous fier de toi, on a confiance en toi, je suis sûre que Coop serait fier de toi aussi, il faut que tu t’accroches, tu es si fort, commençai-je d’une voix douce. Je sais que tu te sens mal, mais ça va passer, il faut juste tenir bon, tu sais que ça passe toujours. Tu es en sécurité, je suis là, je vais rester là, et ça va passer, promis.

Je me penchai pour le prendre dans mes bras, et il s’agrippa à moi, faisant chavirer mon cœur. Je caressai son dos, ses cheveux, j’embrassai le sommet de son crâne et je murmurai des petites paroles réconfortantes, essayant du mieux que je pouvais de calmer la crise. Finalement, au bout d’un long moment, je m’écartai tout doucement.

- Attends, je vais chercher de quoi te remettre sur pieds, murmurai-je. Je me pressai dans la cuisine et d’un coup de baguette, fis un thé à l’aide des fameuses infusions de Bonnie. Je savais d’expérience que ce thé avait le pouvoir magique de réconforter les angoisses. Je rapportai rapidement une tasse à Chuck, qui était toujours par terre. Je m’assis à côté de lui, passant mon bras dans le sien. C’est un thé magique, tu vas voir, ça réchauffe de l’intérieur. Je caressai à nouveau le dos de sa main. Qu’est-ce qui a déclenché la crise ? Tu veux en parler ?

Je lui fis un sourire, pour l'encourager, mais aussi parce qu'au fond, il y avait un espoir qui m'agitait et me réconfortait. C'était si étrange, cette intimité qui se tissait avec Chuck, assis sur le sol de ma salle de bain à trois heures du matin. Cela me paraissait toujours un peu inattendu, mais je me disais aussi qu'en un sens, nous nous étions bien trouvés tous les deux, malgré nos histoires et nos vies cabossées, et qu'on pouvait le faire, tout les deux, finalement... On pouvait y arriver.
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MessageSujet: Re: Like a bird set free (Ruby)   Like a bird set free (Ruby) Icon_minitimeSam 19 Nov - 18:10

Ça ne me prenait pas en traître, pas du tout : j'avais l'habitude. Il y avait les jours où je me sentais si fort que j'aurais pu déplacer des montagnes, et puis en un instant ça vacillait, je me retrouvai couché sur le canapé, recroquevillé, gelé de l'intérieur, le moral dans les chaussettes, et tous les compteurs se remettaient à zéro. Il fallait alors tout recommencer, et ça m'épuisait, ça m'épuisait continuellement, et je n'en pouvais plus... Mais je n'avais plus le choix, maintenant. J'avais promis m'en remettre, de faire des efforts, de me sortir de là, de ne plus jamais replonger et de donner à tous ceux qui avaient été là pour moi même pendant ces longs mois sous l'eau de quoi être fier de moi. Il fallait bien que je les mérite de nouveau. Ce n'était pas si simple, mais c'était quelque chose pour laquelle je voulais bien me battre, la seule chose à vrai dire qui arrivait à me motiver.

Mais dans les pires moments, tout ça, ça n'existait plus. Il n'y avait plus rien, plus que du vide, du noir, un truc énorme qui m'aspirait, tellement creux que je paniquais, tellement vaste que je tombais, tombais, tombais sans rien pouvoir faire, que mon coeur se décrochait, que mon corps n'existait plus de nouveau. C'était un truc de dingue ; comme si quelqu'un prenait mon âme d'une main et mon corps de l'autre et les déchirait, et s'amusait à les agiter dans l'air. Je n'étais plus rien, je n'étais plus moi. J'étais juste le fantôme des mois précédents. Et dans ces moments-là je voyais très nettement ce qu'il fallait faire ; oh, le geste, je le connaissais bien. Un petit pot, c'était blanc, une flamme, ça brunissait, une seringue, une petite dose - pas trop importante, promis, juste un petit peu, je ne voulais pas non plus replonger -, la piqure, le rush d'adrénaline, le court-circuit de quelques secondes, la montée, le Nirvana. Le bonheur à l'état pur. Qui n'existait plus, maintenant : impossible de retrouver cette plénitude.

Juste un petit peu...

Ça devenait une idée fixe, à tel point que le creux de mon coude me grattait et que mes veines me picotaient tout le long du bras comme si elles essayaient de me faire sentir l'effet, en vain. Mais comme je ne pouvais pas, comme il ne fallait pas, alors mon corps entrait dans une panique complète à défaut de la transe qu'il voulait temps, et c'était le début de la fin, ma tête suivait le mouvement, je ne pouvais penser à rien à part les idées les plus noires que je pouvais trouver en moi, et je n'avais plus qu'à attendre que ça passe en espérant de ne pas crever. Le point positif, tout de même, c'était que petit à petit la sensation physique se faisait un tout petit peu moins violente. Mais pour le reste... J'avais toujours l'impression que j'allais vomir mes entrailles de désespoir et jamais m'arrêter de pleurer tellement mon corps était déchiré en mille morceaux.


- Chuck, il faut que tu respires. Tu es en train de paniquer, - non, sans blague ?! Quand je levai le regard vers Ruby, en face de moi, qui me prenait doucement mais fermement les mais pour me calmer et me forcer à la regarder, j'eus un éclair du Chuck d'avant, une envie de la pousser et lui dire de me foutre la paix, de la colère contre elle, qu'est-ce qu'elle foutait là ; mais la seconde d'après j'étais redevenu moi-même - mais ne t’inquiète pas, c’est ton corps, c’est juste ton corps, tu es plus fort que ça. Regarde moi, et respire avec moi, voilà, inspire, expire… Inspire… Expire… Voilà, c’est très bien comme ça…

J'obéis, enfin, du mieux que je le pouvais, vu comment je tremblais comme une feuille et que mes muscles avaient décidé de danser la Java sans mon avis. L'air me manquait tellement que j'avais l'impression de suffoquer mais en me calant sur le rythme de Ruby et en serrant ses bras pour m'empêcher de me gratter, je sentis une légère amélioration.


- Regarde, tu y arrives, tu peux le faire… Tu as déjà fait tellement, et on est tous fier de toi, on a confiance en toi, je suis sûre que Coop serait fier de toi aussi, il faut que tu t’accroches, tu es si fort. Je sais que tu te sens mal, mais ça va passer, il faut juste tenir bon, tu sais que ça passe toujours. Tu es en sécurité, je suis là, je vais rester là, et ça va passer, promis.


Je me sentis tomber en avant, comme si tous mes muscles s'étaient détendus d'un seul coup. Je tombai doucement, au ralenti, une chute à travers le nuage, pendant un temps infini. Il me fallut plusieurs minutes pour comprendre que j'étais tout contre Ruby, dans ses bras, qu'elle serrait autour de moi. J'étais parti - je m'étais envolé - je ne tremblais plus, j'étais immobile, sans vie. Mon corps avait été court-circuité par la force d'un mot, et mes esprits peinaient à refaire surface. Je me rendis compte alors que je pleurais de plus belle, que je sanglotais à m'en ouvrir les poumons en deux, sans aucun bruit.

Je voulais seulement le revoir une fois, juste une fois... Au moins une fois... Il me manquait tellement. Je n'arrivais toujours pas à y croire, parfois les secondes passaient et il était encore là, et puis je me rappelais de la réalité, qu'il était mort. Je pouvais rester des heures, les yeux dans le vague, fixés sur le mur en face de moi, à penser à lui, à se rappeler de souvenirs, à l'imaginer : à Poudlard, plus tard, son métier, ses amis, ses soirées, sa vie, sa maison. Je savais qu'il aurait été un adulte formidable - il l'était déjà plus que moi, avec quatre ans de moins. Parfois c'était agréable de penser à lui comme ça, de regarder des photos, de discuter un peu avec les Tennant, de revivre ce qui n'était plus. Mais parfois - comme là - c'était tellement douloureux que je ne comprenais pas pourquoi je n'étais pas mort aussi, comment je lui avais survécu, comment je pouvais faire sans lui. Il était tellement spécial... Il était une partie de moi.


- Je veux qu'il revienne, il me manque, m'entendis-je dire alors que je m'étais accroché à Ruby pour lutter contre le ras-de-marée qui essayait de me foutre par terre. Je n'avais plus aucune notion du temps. La nausée revenait un peu, mais je me forçai à bien respirer, calmement, pour qu'elle reparte.

Ruby me berçait, c'était la seule chose tangible à laquelle je me raccrochais - ses mots ne m'atteignaient pas, je n'avais pas la force de les entendre, mais je sentais les battements de son coeur, ses gestes rassurants, son odeur, et je me laissais faire.


- Attends, je vais chercher de quoi te remettre sur pieds.
Elle partit alors, me laissant un instant tout seul. La tête me tournait et j'avais l'impression d'être dans un monde en coton, le regard flou, la tête en vrac. J'étais incapable de me lever. Le temps s'étirait comme un chewing-gum, et je n'avais aucune idée quelle heure il était, s'il faisait jour ou nuit. C’est un thé magique, tu vas voir, ça réchauffe de l’intérieur. Qu’est-ce qui a déclenché la crise ? Tu veux en parler ?

Avec toute la concentration dont j'étais capable, j'attrapai la tasse, la portai à mes lèvres (j'avais l'impression d'être handicapé tellement mes gestes me demandaient des efforts) et bus le liquide chaude et parfumé à quelque chose qui m'était familier - mais quoi ?! Une odeur, un souvenir. Ça sentait Noël. À peine une minute après la gorgée, je sentis comme une deuxième vague, mais tiède et douce, cette fois, me balayer des pieds à la tête ; à la deuxième quelque chose sembla apaiser mes muscles et reposer mes idées et Ruby et la salle de bain m'apparurent alors avec plus de clarté. Je ne dis rien jusqu'à avoir bu une bonne moitié de la tasse, tandis que mon corps paraissait se réveiller d'un douloureux cauchemar et que je battais des paupières pour revenir dans la réalité.


- Ça va mieux, dis-je alors, étonné. Au centre, on nous donnait des trucs du genre, mais un peu plus violents. Je tentai de sourire à Ruby et essayai de me redresser un peu mais lâchai un grognement : mes muscles avaient été tellement maltraités que tout mon corps était douloureux. Tu m'aides, on va dans la chambre ?

Je commençai à me geler le cul sur le carrelage froid, et quelque chose dans cette salle de bain était un peu trop... Aseptisé à mon goût. Ruby fit voler le thé et la théière dans sa chambre - enfin, la mienne - et m'aida à me lever, avant de nous installer tous les deux au chaud. Je m'enroulai dans une couverture et bus le reste de ma tasse.

- Je... Je voulais répondre à sa question, mais je me sentais débile. Le regard braqué sur le fond de thé, je tournai les choses dans ma tête, incapable de les formuler. Oh, et puis, merde, hein. Ruby en avait vu d'autres à mon sujet, alors tant pis. Je pensais à Emmy. Relevant les yeux vers elle,  j'eus un petit sourire, l'air de dire, haha, je sais. C'est débile hein, je sais, c'est de ma faute, j'ai tout foiré. Mais je pense tout le temps à elle et je veux me faire pardonner pour tout ce que je lui ai fait subir, ça fait partie du "plan". J'ai peur qu'elle ne veuille même pas me voir... J'ai peur qu'elle ne m'écoute même pas.

... Et puis, le reste...

- Et, euh, merde alors, je ne savais plus parler ou quoi, bon, voilà quoi, tu vois...

... Non ?

- Tu crois que j'ai une chance de la récupérer ?

Ouh là, c'était pas du tout sorti comme je voulais. J'eus envie de me taper la tête contre un mur - je me posais la question, oui, mais est-ce que j'étais prêt à entendre la réponse ?
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Ruby Standiford-Wayland


Ruby Standiford-Wayland
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MessageSujet: Re: Like a bird set free (Ruby)   Like a bird set free (Ruby) Icon_minitimeJeu 24 Nov - 22:54

Il s’était mis à pleurer, de ces sanglots silencieux qui n’en étaient que plus déchirants, les émotions s’accrochaient à la gorge et c’était tellement fort, tellement profond, cette douleur terrible, que les cris en devenaient inutiles, incapables. Tout dépassait Chuck, dans ces moments, je le savais. C’était horrible, plus je le serrais dans mes bras et plus sa douleur m’écrasait la poitrine aussi, comme si elle se déversait en moi, je sentais son mal-être qui suintait et m’envahissait. J’étais si triste ! Si triste de voir Chuck ainsi, de ressentir sa peine… Triste de savoir qu’il était infiniment triste, d'une façon qui me dépassait. Je ne pouvais rien faire, rien de plus qu’être là, comme je le pouvais, tant qu’il le voulait. Combien de temps cela prendrait-il pour qu’il se remette sur pieds ? Oh, je savais que le spectre de Coop ne serait jamais loin. Les fantômes ne s’effaçaient jamais complètement… J’espérais simplement que Coop devienne un fantôme bienveillant, une présence qui encourageait Chuck à tenir bon, à s’accrocher, à continuer. Mais pour l’instant, la douleur était trop fraiche, le manque trop présent… Le manque, il était partout... Le manque de Coop, de la drogue, du bonheur facile, de la vie d’avant… Pourquoi est-ce qu’il manquait toujours quelque chose à Chuck, à moi ? Pourquoi étions-nous ainsi, si dépendant des bonheurs artificiels ? Parce que nos histoires fissurées nous avaient fait grandir avec un vide qu’on cherchait toujours à combler ? Ou c’était juste la malchance, comme ça, la vie ? Chuck pleurait toujours contre moi, et je fermais les yeux forts, retenant sans succès les larmes qui commençaient à couleur aussi… Il avait tellement de peine, c’était si fort et trop injuste. Je détestais le voir ainsi. Je détestais la vie, la malchance, l’histoire, peu importe ce qui avait entraîné tout ça, mais je le détestais….

Mais on ne pouvait pas rester sur ce sol de salle de bain. Peu importe combien Chuck souffrait, la vie continuait, et je ne voulais plus qu’il la subisse et la fuis comme il avait pu le faire. Je savais qu’il pouvait aller mieux, je savais que c’était en lui. Je m’écartai tout doucement, de peur qu’il ne soit pas prêt à lâcher, avant d’aller chercher le thé le plus rapidement possible. La théière flottait légèrement dans l’air, tandis que Chuck buvait en silence la tasse que je lui avais servie, le corps toujours un peu tremblant. Je sentais que quelque chose s’envolait doucement dans l’atmosphère, et c’était étrange de réaliser combien, un instant auparavant, Chuck pouvait être dans une telle souffrance et dans un état si proche de craquer, et qu’à présent, les choses remettaient en place. Le glissement était rapide, vif, intense, comme si l’on avait pressé un interrupteur et qu’on l’éteignait juste ensuite. Mais je restais sur mes gardes, car je savais que les crises de manque mettaient dans un état de fragilité terrible qui pouvait entraîner d’autres crises, comme les répliques d’un séisme.


- Ça va mieux. Tu m'aides, on va dans la chambre ?

Mon cœur papillonna un peu, rassuré un instant. Je bondis, bien sûr, prête à aider Chuck, et avec toute la douceur et la fermeté dont j’étais capable, je l’aidais à se relever et à détendre ces muscles endoloris. On marcha sans bruit jusqu’à ma chambre qui était devenue la sienne, et je poussai la couverture vers Chuck, retenant mon instinct maternel qui voulait l’enrouler dedans comme un petit enfant, et lui frotter le dos – j’avais peur qu’il se sente trop materné, trop étouffé, et je me contentai d’avoir des gestes rassurants mais qui le laissaient gérer seul. Chuck pouvait s’en sortir lui-même, peut-être pas encore, pas maintenant, mais au fond de lui, il le pouvait, et je voulais qu’il le sache. Je me mis à sourire, doucement, d’un petit air que Chuck, concentré sur sa tasse, ne pouvait pas voir. Il était si touchant, dans toute sa fragilité, tellement humain. Je voulais qu’il le sente, et se sente digne d’amour, de confiance, peu importe ce qu’il avait fait auparavant, il était entouré, il le serait toujours…

- Je... Je pensais à Emmy. Oh… Oh, on ne pouvait pas dire que je ne m’y étais pas attendue, à celle-là. C'est débile hein, je sais, c'est de ma faute, j'ai tout foiré. Mais je pense tout le temps à elle et je veux me faire pardonner pour tout ce que je lui ai fait subir, ça fait partie du "plan". J'ai peur qu'elle ne veuille même pas me voir... J'ai peur qu'elle ne m'écoute même pas.
- Mais non, ce n’est pas débile,
protestai-je doucement, en lui faisant un petit sourire encourageant.

Mais au fond, mon cœur se crispait complètement. Comment pouvais-je avoir le courage de lui dire que je savais qu’Emmy avait un petit-ami ? Peut-être qu’elle n’était plus avec, essayai-je de me convaincre, mais je n’étais pas stupide, Ewan l’avait vu il n’y a pas si longtemps, elle avait heureuse avec lui, ou du moins stable… Emmy n’avait pas l’air de collectionner les histoires, et il y avait beaucoup plus de chance qu’elle soit encore avec Matteo que l’inverse. Comment pouvais-je le dire à Chuck ?! Il allait tellement en souffrir ?!


- Et, euh, bon, voilà quoi, tu vois...

Oui, je voyais… Il l’aimait encore, n’est-ce pas ?

- Tu crois que j'ai une chance de la récupérer ?

Je vis dans ces traits qu’il regrettait sa question, qu’elle lui avait échappée, et je me sentis encore plus crispée tout à coup. Je ne pouvais pas lui dire, pas maintenant, pas vrai ? Il venait à peine de se calmer… Et puis, qu’est-ce que je connaissais des sentiments d’Emmy à son sujet ?! Elle tenait tellement à lui, elle avait tellement été amoureuse – l’était-elle encore ?! – qu’il me paressait certain qu’elle écouterait au moins Chuck… Mais… La suite ? Je n’en savais rien.

- Je ne sais pas, dis-je alors, un peu malgré moi, tout doucement, en pressant l’avant-bras de Chuck. Je sais juste que tu étais très spécial pour elle, je pense qu’elle acceptera de t’écouter. Tu sais, je la croisais parfois, après votre rupture, et elle me demandait toujours des nouvelles de toi, elle avait l’air très inquiète, je suis sûre qu’elle serait rassurée de savoir que tu as arrêté tout ce que tu prenais. En tout cas, je pense que c’est une bonne idée d’au moins t’excuser auprès d’elle, et c'est très courageux de ta part. Je lui fis un sourire encourageant. Tu as le droit de revenir vers elle, et elle a le droit d’accepter ou de refuser, mais son choix est hors de ta portée, tu ne peux pas deviner le futur… Mais je ne serais pas trop pessimiste si j’étais toi, en tout cas. Je réfléchis un instant, cherchant les mots juste. Tu connais Emmy, non ? Tu sais qu’elle t’écoutera au moins, pas vrai ?

J’espérais que Chuck le sente en lui, fasse confiance à son instinct, lui qui était si fragile à présent… Mais je savais que les choses étaient plus compliquées que cela, et une tristesse étrange m’envahit, mais je souris, la chassant, refusant que Chuck la voit. Comme il avait fini son thé, je finis voler la tasse et la théière dans la cuisine, et le regardai avec un petit air interrogatif. Je savais ce qu’il voulait demander, n’est-ce pas ? Alors j’hochai la tête avec un sourire doux, et j’installai les coussins confortablement, avant de me glisser sous la couette que Chuck avait tendue sur le lit. Il y eut un moment de flottement, mais je chassai la gêne et laissai Chuck basculer un peu contre moi tandis qu’un de mes bras se glissait autour de ses épaules et frottait son dos d’un geste protecteur et rassurant. Je sentis que son corps se déconnectait petit à petit, probablement épuisé, et je déposai un dernier baiser sur son front, juste avant que Chuck ne s’endorme, espérant qu’il l’emporterait dans des songes cette fois plus léger.
(Terminé Kiddo <3)
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